samedi 7 mai 2022

Léon Bloy au milieu des docteurs


 Chronologie des rapports amicaux ou conflictuels que pouvaient entretenir l'écrivain catholique Léon Bloy (1846-1917) avec les docteurs et la médecine.

 

En préambule des diverses citations de l'auteur qui s'échelonnent de 1872 à 1917 et afin de mieux comprendre l'époque de Léon Bloy, il convient de rappeler quelques dates clés des découvertes de la médecine directement en lien avec sa vie et ses écrits :

- 1796 : Vaccin contre la variole mis au point par Mr Jenner.

- 1885 : Vaccin contre la rage

- 1899 : Commercialisation de l'aspirine

- 1921 : Vaccin contre la tuberculose

- 1926 : Vaccin contre le tétanos

- 1941 : L'hôpital devient public et accessible à toutes les catégories sociales. Commercialisation des premiers antibiotiques.

-1957 : Commercialisation du paracétamol

-1963 : Vaccin contre la rougeole

 

1882, Léon Bloy (35 ans) voit Anne-Marie Roulé, le premier amour de sa vie, basculer dans la folie et la conduit à l'asile de Sainte-Anne. 1885, il assiste impuissant à la mort de celle avec qui il voulait se marier, Berthe Dumont, succomber au tétanos. 1888, il veille sur son premier fils à la santé fragile Maurice, fruit de sa relation avec Eugénie Pasdeloup. 1895, l'année terrible, Bloy enterre ses deux jeunes fils décédés respectivement d'une méningite tuberculeuse et de dénutrition. Dénutrition expliquée par le fait que la mère, Jeanne Bloy, ne pouvait donner son lait puisqu'elle était hospitalisée à Sainte-Anne pour cause de maladie. 1900, il perd son premier fils d'une méningite et croit perdre sa fille cadette Madeleine de la rougeole. 1910, sa fille ainée Véronique passe près de la mort suite à une congestion pulmonaire.

À la lecture de son Journal (1892) et de sa Correspondance (1872-1917), le plus frappant est la constante inquiétude de Léon Bloy pour la santé de ses proches. Lord Anxious, comme aimait lui-même s'appeler son maître et ami Jules Barbey d'Aurevilly, serait un parfait surnom pour qualifier Léon Bloy vis-à-vis de l'évolution de la maladie de ses amis et des inconnus démunis. Du temps et de l'argent, il en donnera pour essayer, avec plus ou moins de réussite, de réconforter et de soigner ses proches et les indigents. 

Léon Bloy était avant tout un esprit religieux. Ses interprétations étaient d'ordre biblique et mystique, il agissait en Samaritain des causes perdues pour essayer de guérir le corps et les âmes. Ses convictions "médico-théologiques" étaient celles-ci :

"Jésus guérissait toutes les maladies. De quelle manière ? En les prenant sur lui, mystérieusement et invisiblement : de façon à devenir en vérité, le lépreux annoncé par Isaïe, l’infirme absolu, in quo omnia constant. " (Le Mendiant Ingrat, 1894)

 "J'ai toujours cru à l'efficacité salutaire de la souffrance. C'est un collyre miraculeux. Le Christ guérissait symboliquement les yeux des aveugles avec de la boue et du crachat." (Lettres aux Montchal, 22 avril 1885) 

Ennemi du progrès scientifique et de la modernité, vivant sa propre révolution mystique pendant que le monde était en pleine révolution industrielle, voici quelques étapes du chemin de croix de Léon Bloy :


  • Léon Bloy et Georges Landry : l'amitié fraternelle de 1866 à 1893

    Georges Landry



    Léon Bloy à 19 ans, autoportrait


Toujours soucieux pour la santé de ses proches, Léon Bloy écrivait à Georges Landry le 2 mars 1872 :

"[...] si je pouvais obtenir la guérison de ton cœur malade au prix même d'une bonne portion des battements du mien, avec quelle joie ne le ferais-je pas ! Pauvre Georges, tu ne sais pas combien je t'aime."(Lettres de Jeunesse)

Et le 12 juillet 1878 :

 "J'ai appris, hier, la maladie de Justine. Je lui ai écrit immédiatement." (Lettres de Jeunesse)
  • Maurice Rollinat : L'admiration pour le poète, musicien et chanteur. Léon Bloy lui écrira un beau texte dans Le Chat Noir

"[...] maintenant que je vous vois souffrir de près, je me lamente de ne pouvoir vous guérir. Il faudrait que je fusse un grand médecin de la chair pour vous rendre la santé du corps par laquelle les choses de l'esprit vous deviendraient savoureuses ou que je fusse un grand médecin de l'esprit pour faire entrer en vous le réconfort surnaturel d'une espérance religieuse. Je ne suis par malheur ni l'un ni l'autre." (8 août 1882, Lettre à Maurice Rollinat)

  •  Anne-Marie Roulé (25 février 1846-7 mai 1907) : 5 ans d’amour mystique (février-mars 1877 à juin 1882) avec Léon Bloy. Elle lui inspirera le personnage de Véronique Cheminot dans son roman Le Désespéré (1887).

 "J'ai encore une autre inquiétude, ma bien-aimée, ma chérie, ma pauvre petite fille, c'est ta santé. Je voudrais te voir forte et bien portante. Si ton état ne s'améliore pas, je mettrai de côté tous mes scrupules et je t'enverrai mon médecin qui te soignera avec beaucoup d'habileté sans qu'il nous en coûte rien." (Lettres à Véronique, 12 juillet 1877).

"Mon âme est horriblement triste et malade. Je suis à la Trappe pour me soigner." (Lettres à Véronique, début juin 1878)
"Pendant quatre mois, il resta enfermé avec elle, travaillant à des copies, en surveillant la malade, sous la triple menace du feu, de l'étranglement et du couteau. Enfin, il fallut se rendre à l'évidence. Le 29 juin 1882, Anne-Marie fut examinée par le docteur Gervais, 13, rue de Navarre. Ce patricien prescrivit son internement dans un établissement spécial, et le lendemain, 30 juin, Léon Bloy la conduisit à l'asile Sainte-Anne." (Biographie de Léon Bloy par Joseph Bollery, Tome 2)

 

Extrait manuscrit d'une lettre d'Anne-Marie à Bloy

Elle fut donc internée à Sainte-Anne puis au Bon-Sauveur de Caen (30 juin 1882) pour délire de persécutions avec hallucinations et idées mystiques (numéro de matricule 611-39-059). Elle mourra d'une tumeur à l'estomac sans avoir recouvré la raison.

  • Berthe Dumont (11 mai 1857-11 mai 1885) : La femme aux beaux "yeux de gitane" avec qui Léon Bloy devait se marier mais qui mourut très jeune et de façon brutale du tétanos  dans leur maison à Fontenay-Aux-Roses. Elle sera la Clotilde Maréchal dans son roman La Femme Pauvre (1897).

"J'aurai vu, lié et impuissant, brûler cette infortunée que je n'aurais pas eu de sensations plus terribles. Il a fallu qu'une si douce et si tendre fille mourût précisément de la plus abominable mort que l'on connaisse en médecine, la mort par le tétanos dont le seul nom est une épouvante, et encore, elle a eu ce que l'on connaît de plus aigu dans ce genre de mal, qu'avec une apparence de raison, les gens du Moyen-Âge expliquaient par la possession diabolique, tant c'est terrifiant. J'aurai toute ma vie ce spectacle devant mes yeux, cette face bleuie, ces rugissements, ces torsions affreuses de tout ce pauvre corps, ces efforts désespérés pour parler. Elle s'était couchée la veille, 10 mai, fort souffrante, mais sans que rien pût faire craindre une catastrophe même éloignée Je travaillais dans une chambre au-dessous de la sienne. Vers 3 heures du matin, un premier cri me fit accourir. C'était fini, la crise commençait. L'une des dernières paroles qu'elle fit entendre dans un des rares intervalles de sa torture fut celle-ci : "Mon Dieu, prenez-moi bien vite, délivrez mon pauvre ami". Ce mot dit tout. Il m'est tombé sur le cœur pour l'empoisonner, à jamais. L'épouvantable trismus a duré huit heures. Mais voici le plus horrible. Le misérable médecin, appelée en toute hâte, vit très bien que tout était perdu, mais il affecta une parfaite sérénité et me laissa ignorer l'imminence de la catastrophe." (Lettres aux Montchal, 20 mai 1885)

Acte de décès de Berthe Dumont signé par Léon Bloy

"Mesurez, si vous le pouvez, la quantité de douleur contenue dans ce seul fait. Je n'ai pas son portrait. Je n'ai pas eu assez d'argent pour une photographie, même sur son lit de mort. Je voudrais vous serrez dans mes bras et pleurer sur votre noble cœur." (20 mai 1885, à Louis Montchal)

"Ma bien-aimée Berthe était l'espérance de ma vie. Je voulais la guérir, en faire ma femme et me reposer en elle comme dans un asile de paix. Elle était belle, douce, pleine de toutes les tendresses. Elle m'avait aimé d'abord parce que j'étais malheureux puis la pauvre enfant avait cru voir en moi un homme de génie et son amour était devenu presque aussitôt un mélange de tendresse et d'enthousiasme tel que je n'ai rien vu de semblable ni d'aussi touchant." (7 juin 1885, à Louis Montchal)

"Si jamais je me suis trouvé en danger, c'est maintenant sans aucun doute. Danger pour ma raison, danger pour ma santé, il n'est que temps de recourir au grand remède que je me suis cru assez fort pour écarter jusqu'ici.[...]. C'est l'âme qui est malade et c'est l'âme qu'il faut soigner." (Retraite à la Grande-Chartreuse ; sorte de traitement  ou de régime : 27 juin 1885, à Louis Montchal)

  • Eugénie Pasdeloup, mère de Maurice-Léon (4 juillet 1888 - 16 juillet 1900) : mort à 12 ans d'une méningite. Léon Bloy s'est vu refuser la reconnaissance de cet enfant par la mère et il a été convenu qu'il donnerait 20 francs par semaine pour subvenir à ses besoins.

"Voici et tremble. J'ai un enfant depuis dix-huit mois. Comment ne te l'avais-je pas écrit dès le commencement ? Ah ! c'est étrange en effet, mais plus douloureux qu'étrange. D'abord, ce pauvre petit garçon qui est aujourd'hui plein de force et très beau dit-on, était né si faible, si peu viable, qu'il a fallu, pendant des mois, le disputer à la mort. Bataille de tous les jours, de tous les instants, et bataille sans le sou naturellement.[...]. La mère est une créature très simple et très dévouée, que je connais depuis longtemps, et à qui j'ai eu l'occasion de sauver  plusieurs fois la vie." (2 janvier 1890, à Louis Montchal)

"Lorsque je fus malade, il y a deux ans et cloué dans mon lit pendant un mois, je la fis venir et elle me soigna avec la patience et le dévouement absolu d'un bon chien. il arriva alors ce qui devait arriver. Vous savez ce que peut produire un moment d'attendrissement. J'aime cet enfant avec passion et je rêve sans cesse pour lui." (15 janvier 1890, à Mme Montchal)

 À noter que le parrain du petit Maurice fût le Docteur Maurice de Fleury : Médecin et ami de Bloy qui probablement a dû soigner le bébé durant les premières années.

  • Jeanne Molbech : la femme avec qui Léon Bloy se maria le 27 mai 1890. Elle donnera naissance à Véronique (1891), André (1894), Pierre (1895) et Madeleine (1897).

Jeanne et Léon Bloy

L'automédication par Léon Bloy :

"J'avais la fièvre et ma pauvre gorge était comme traversé de pointes de feu. Mais il a fallu sortir et marcher toute l'après-midi pour n'obtenir qu'un résultat dérisoire. Enfin, le soir, me sentant menacé d'une angine presque certaine, j'ai fait, en vue de me guérir, un acte de folie qui m'a réussi instantanément d'une façon merveilleuse. Avant de rentrer, je me suis fait servir un verre d'absinthe enragée, triple ou quadruple et je me suis coulé ça dans la gorge comme du plomb fondu. Presque aussitôt, le malaise intolérable a cessé, la fièvre est tombée et je n'ai plus senti qu'une douce chaleur, accompagné du besoin de dormir." (8 mars 1890, Lettres à sa fiancée)
  • Camille Redondin (1856-17 mai 1890) : Léon Bloy paya son cercueil et ses obsèques

Portrait de C.Redondin par E.Grasset
"Ce pauvre Camille me disait avec une voix déchirante : " Que je voudrais donc mourir !" Prie pour lui." (18 janvier 1890, Lettres à sa fiancée)

"C'était un homme exceptionnel dont l'existence avait été infiniment extraordinaire, une âme de pirate et d'aventurier terrible qui m'a sauvé plusieurs fois la vie." (Lettres aux Montchal, 20 mai 1890)
  • 1893, Léon Bloy somme son ami Henry de Groux de bien vouloir observer le traitement du "docteur"Foux :

Léon Bloy en 1893
 

M. Foux était un guérisseur exerçant rue de la Fontaine-au-Roi à Paris. Bloy avait une confiance totale en lui. Son traitement consistait en l'administration d'une cuillère de miel mélangé à un poudre blanche mystérieuse dont Bloy essaiera de percer le secret après la mort de ce dernier.

"Je crois être sûr que votre guérison parfaite dépend de vous seul et des soins qu'on vous donnera. Êtes-vous capable d'observer le traitement du médecin extraordinaire que, par privilège inouï et parce que vous étiez l'ami de Léon Bloy, il vous a été donné de rencontrer ?" (20 février 1893, à Henri de Groux)

"Vous avez connu, par moi, le seul homme au monde capable de vous guérir.

ET VOUS OSEZ JUGEZ CET HOMME !!!

Cet homme dont la supériorité énorme est prodigieusement inaperçue de vous, pense que vous devez lui obéir et qu'en ne lui obéissant pas, à la lettre, vous êtes MORT.

Je le pense aussi. (dimanche de Pâques 1893, à Henri de Groux)

  • André Bloy (1er février 1894-26 janvier 1895) 

"Il est vraisemblable que le petit André avait été contaminé par Alcide Guérin qui, tuberculeux et ne se rendant pas compte de son état, ne prenait aucune précaution à l'égard des enfants de son ami lors de ses fréquentes visites, embrassait sa filleule (Véronique) et naturellement, son petit frère (André)..Mais André , depuis deux mois, n'était plus gai comme avant. L'insalubrité de l'humide pavillon a, sans doute précipité l'évolution du mal qui prit la forme d'une méningite tuberculeuse foudroyante."(Biographie de Léon Bloy par Joseph Bollery, Tome 3)

 - 25 janvier 1895 : Lettre de Léon Bloy à Henry de Groux (parrain d'André Bloy) s'inquiétant de la santé de sa fille Elisabeth.

"Les soins à donner à un enfant de cet âge sont d'une simplicité parfaite, mais c'est une mère qu'il faut consulter. Le plus infaillible secret d'assassiner un petit enfant, c'est d'appeler un médecin. Plus le médecin sera savant et plus tôt ce résultat sera obtenu. Aujourd'hui nous avons eu nous-mêmes, à endurer cette tribulation. Votre filleul [André] a été ce matin, tourmenté d'une crise violente qui, fort heureusement, s'est apaisé par la vigilance de sa mère. Nos ennuis ont été grands et notre déménagement très pénible. Mais vous savez que nous sommes fidèlement et miraculeusement secourus, toujours et en temps utile, parce que notre fois est sans mesure et que nous sommes ou que nous nous efforçons d'être des gens de prière." (25 janvier 1895, à Henri de Groux)

- 25 janvier 1895, Notes de Léon Bloy :

" Journée triste et pénible. Notre petit André a eu ce matin une crise de toux qui l'a extrêmement abattu. Jeanne est fort triste. Depuis cette crise que nous supposons simplement nerveuse et causée par la difficulté inouïe de sa dentition, il est resté pâle jusqu'à la lividité. [...] Jeanne m'ayant demandé un cordial pour André, je prends au café même une petite fiole de porto que le patron ne me fait pas payer. Avant de rentrer, j'achète par précaution les ingrédients d'une recette contre le croup, copiée autrefois en Danemark, dans L’Événement et que je gardais avec soin : goudron, térébenthine et chlorate de potasse.[...] Une ou deux fois, j'ai pensé au médecin. Mais nous ne croyons pas à la science de ces gens-là, et que pourrait faire un médecin sinon prescrire une potion coûteuse  et suspecte dont nous n'oserions pas nous servir."

- 25-26 janvier 1895, Notes de Jeanne Bloy :

"À 16 heures, j'ai pris la précaution de lui donner de l'huile pour le débarrasser des glaires qui semblaient l'empêcher de respirer. Après cela, il dormit plus tranquillement et les cuillerées de fleur d'oranger que je lui avais données semblaient l'avoir calmé. Il était dès ce matin, enveloppé de ouate. A 20 heures environ, il prit avec appétit un biberon de lait stérilisé mélangé d'eau et de bouillon d'abatis de poulet. Il dormit après cela[...] L'espoir revenait[...] A trois heures du matin, il se plaint.[...]. Sa dent, la première œillère, a l'air de le faire souffrir plus que jamais.[...]. Il met ses poings dans la bouche, il mord tout d'une manière désespérée.[...] Je le mets contre mon épaule, ce qui semblait être la position qu'il aimait le mieux. Je me promène avec lui en pleurant et en priant, en appelant au secours, épouvantée à entendre sa respiration qui devenait de plus en plus dure et semblait me déchirer moi-même. Alors, tout d'un coup, il tombe de mon épaule. Je comprends et je cours à l'escalier pour appeler Léon en criant : "Le petit meurt, le petit meurt !" [...] Je lui verse quelques gouttes de porto, mais il n'avale plus rien. C'est fini." (Jeanne Bloy)

- 26-27 janvier, Notes de Léon Bloy :

"Nous l'habillons pour la terre qui le réclame et nous nous asseyons l'un en face de l'autre, assommés, brisés, perdus, en attendant le jour, n'ayant même pas la force de pleurer.[...]. A 5 h.30, nous disons l'angélus, au son de la cloche, devant le cadavre de l'enfant bien-aimé qui est venu au monde de l'angélus de midi et qui semble dévolu mystérieusement à cette forme sainte.L'horrible médecin, irrité d'apprendre que nous n'avions consulté personne et sentant, je crois, notre mépris, s'est très peu gêné pour laisser entrevoir le plus infâme soupçon, nous donnant à entendre que cette négligence, criminelle à ses yeux, nous faisait encourir une lourde responsabilité. Les choses en sont venues au point que Jeanne lui a répondu :"Monsieur, je crois en Dieu, et il n'est arrivé que ce qu'Il a voulu." (26 janvier, vers 11 heures)

André Bloy sur son lit de mort

"Vers 9 heures, visite du second médecin. Celui-là est poli et humain. Il me donne quelques mots certifiant que la mort lui paraît naturelle. Nous échappons donc à l'horreur d'une autopsie." (27 janvier, contre-visite d'un second médecin suite à l'enquête administrative demandée par le premier médecin de la veille)

  • Entre le 31 janvier et le 18 mars 1895 :

-Léon Bloy envoie une lettre à son nouveau propriétaire ( il déménagea en janvier de la rue d'Alésia à Impasse Cœur-de-Vey) et avertit qu'il lui fera un procès :

"L'humidité effroyable de ce pavillon dont les portes et les fenêtres étaient restés ouvertes jour et nuit, pendant une ou deux semaines avant notre arrivée [...] a déjà coûté la vie à un de mes enfants, que j'ai enterré lundi dernier, huit jours après notre emménagement. On meurt vite chez vous, Monsieur." (31 janvier 1895)

-L'avocat de Bloy déconseille d'entamer une procédure judiciaire à l'encontre du propriétaire qui serait longue et coûteuse.

- Le docteur Coumétou atteste que Jeanne Bloy ainsi que sa fille Véronique ont la grippe mais refuse d'établir un certificat d'insalubrité.

- 23 février 1895, Léon Bloy envoie une lettre à un de ses lecteurs:

"J'ai enterré, le mois dernier, mon petit garçon, un enfant que je chérissais et dont la mort est en partie le résultat de la misère noire à laquelle m'ont condamné les abominables charognes du journalisme. Voilà ce qu'il en coûte d'aimer la Vérité et la Splendeur." (Lettre à Marc Stéphane)

- 18 mars 1895:  Le docteur Limpéropoulo établit un certificat d'insalubrité du lieu de vie de la famille Bloy.

  • Fin d'année 1895 : Grave maladie de Jeanne Bloy et mort de leur second fils Pierre Bloy (24 septembre 1895 - 10 décembre 1895)

- 12 novembre 1895 :  "Henry, Ma femme a reçu, ce matin, le Viatique des mourants et le sacrement de l'Extrême-Onction. On ne sait si elle vivra, si même elle vivra plus d'un jour. Elle a fait ses recommandations dernières. (Lettre à Henry de Groux)

- 2ème quinzaine de novemre 1895 : Léon Bloy envoie une lettre au Docteur Coumétou où il supplie de venir au secours de sa femme

- 22 novemre 1895 : Léon Bloy envoie une lettre au Docteur Coumétou pour que sa femme soit traitée à Sainte-Anne avec tous les égards possibles. Il l'en supplie "Pour l'amour de Dieu".

- 27 nobembre 1895 : "Je vois ma femme tous les jours à l'hôpital [Jeanne Bloy a été portée à Sainte-Anne le 21 novembre 1895]. [...]. Je sors de plusieurs bureaux de l'Assistance publique. Je viens d'embrasser, pour la dernière fois peut-être, mon pauvre petit Pierre [...] Le fils de Léon Bloy se nomme désormais 8097." (Lettre à Henry de Groux)

- 24 janvier 1896 : "Votre lettre est du 23 décembre. Ce jour-là, j'avais été cherché à Sainte-Anne, à l'effroyable asile de Sainte-Anne, ma chère femme qu'il avait fallu, un mois auparavant, y transporter d'urgence, & où elle avait failli mourir. Le 10 décembre, fête de N.-D de Lorette, notre second fils Pierre était mort à cents lieus de chez nous, chez une nourrice donnée à l'Assistance publique. La maladie de la mère avait tué l'enfant. Véronique, malade elle-même, a pu être sauvée. Mais plusieurs personnes ont cru que la fin des douleurs était venue pour moi." (Lettre à Paul Jury)

- 20 décembre 1895 : "Voulez-vous savoir l'horreur de ma situation ? La pauvre mère en est encore à apprendre la mort de son enfant. Je n'ose porter ce coup et, chaque jour, je vais la voir avec cette épine dans le cœur, forcé de mentir, de feindre la joie, l'espérance, en danger de me trahir à chaque instant, d'éclater en sanglots quand elle me parle de cet enfant qui est sous la terre et que mon inexpérience a tué, peut-être quand j'étais obligé de le soigner moi-même comme une nourrice." (Lettre à Mme de Groux)

  • Le docteur Coumétou (condisciple de Laurent Tailhade au lycée de Tarbes) :
Le Docteur Paul Coumétou

- 1er aout 1895, Léon Bloy demande à "son cher docteur"qu'il examine sa fille Véronique qui a "une sorte de Cholérine".  

- 29 novembre 1896, Bloy déclare au docteur Coumétou que sa présence seule guérit alors que, pour d'autres, il leur suffit de paraître pour que l'affection devienne enragée. 

- 28 mai 1897, Bloy paie 40 francs sur les 81 francs qu'il devait depuis 2 ans. À titre indicatif le prix d'une consultation était de 2 francs et celle de la visite à 4.

- 1 décembre 1898 : le docteur Coumétou paie les 125 francs que l'hôtelier lui réclame "avec une terrible violence". Le Journal de Léon Bloy ayant eu une coupure entre le 25 septembre 1899  et le 5 janvier 1899, on ne pouvait savoir qui avait payé les frais d'hôtel avenue d'Orléans.

  •  1900, la rougeole de sa fille cadette Madeleine

- 28 février : " Maladie de Madeleine. Rougeole sans danger."

 - 1er mars : "Nuit cruelle. Notre pauvre petite se plaint de ne pas voir."

- 7 mars : " Journée terrible. Le médecin, ennuyé de la persistance d'une petit fièvre à laquelle il ne comprend rien, prescrit une potion. Alors, nous voilà chez Dieu de plain-pied, dans son vestibule terrible. Dès la première gorgée, la pauvre petite se tord dans les bras de sa mère, puis elle tombe dans un abattement extraordinaire, elle est mourante, elle meurt... Ses mains, ses petits pieds deviennent glacés, elle râle, nous assistons à son agonie. Un instant l'innocente regarde le grand crucifix et, laissant tomber sa tête vers nous, referme les yeux sans nous avoir vus. Moment effroyable !... Notre chères petite nous est rendue. À quel prix ? C'est Dieu qui le sait."

Madeleine Bloy

Quelques années après, Léon Bloy ajoutera cette note: "J'affirme avec force [...] que le fait qui vient d'être raconté est indubitablement d'ordre surnaturel, que la guérison de Madeleine fut un vrai miracle et que sur le commandement formel de Marie sans tache, quelqu'un quitta notre enfant, alors que, penchés sur elle, nous attendions son dernier souffle."

  • 1901

Exhumation de son fils André : "[...] je vois le petit cercueil. Des employés viennent. L'un d'eux l'ouvre et, avec ses mains, verse pièce à pièce, le pauvre petit corps dans une bière nouvelle." (19 janvier)

  •  1902

 Dédicace [de L'Exégèse des Lieux Communs] à son médecin de famille exerçant à Lagny-Sur-Marne (ville baptisée en "Cochons-Sur-Marne" par Bloy) : 

"Au Docteur N..., le seul médecin de Cochons qui n'ait pas l'air d'un imbécile."

Ce dernier le remerciera dans une lettre où il orthographiera le nom de Bloy par "Bloix" (quelques années plus tard, un autre médecin fera une erreur similaire en l'écrivant "Blois") ce qui rendra furieux ce dernier.

  •  1904

 1er mai : Léon Bloy découvre et admire Le Christ enfant au milieu des docteurs de Rouault.

  • Attaques contre la médecine et la vaccination dans son Journal (1894-1906) :

"Pourquoi les prêtres reçoivent-ils le pouvoir de chasser les démons si ce n'est pour guérir TOUS les maux ? [...] Les médecins sont les prêtres du Démon. Ils confessent les malades, les consolent, et les absolvent à leur manière, leur donnent enfin la communion des ténèbres. Les pharmacies ressemblent à des sacristies de l'enfer. Ces hommes qui parlent à demi-vois, ces bocaux étiquetés de latin, cette odeur de poisons, ces petits paquets mystérieux !..." (13 août 1894)

"Parlé avec la sage-femme, de la vaccination, qui est, paraît-il, exigée par la loi, car toute liberté décampe. J'exprime fortement, quoique bien inutilement, mon horreur pour cette ordure, dont l'humanité s'est si bien passée, jusqu'au dernier siècle, et dont l'angleterre nous gratifia. Le courant moderne est, d'ailleurs, aux inoculations de tout genre. On finira par putréfier les petits enfants de quarante sortes de vaccins." (2 octobre 1895)

  "De même que les prêtres sont exorcistes, il est certain que les médecins peuvent conférer le démon et le nombre de ces docteurs est étrangement inconnu." ( maladie de Jeanne , médicament à base de Pyramidon, "un poison nouveau" (15 décembre 1905)

"Presque tous les médecins devraient être guillotinés." (22 mai 1906)

  •  1907

 Le docteur recommande à Jeanne Bloy malade d'aller à la mer. Les Bloy prendront l'habitude de se rendre à Cayeux dans la Somme : "Jolie plage" pour  Madeleine Bloy, "Mer sournoise et sans grandeur" pour son père.

  • 1908

3 aout 1908 : "Vu aujourd'hui, l'homme le plus exubérant de la planète." Il s'agit du Docteur Émile Amieux, protestant, que Bloy convertira au catholicisme. 20 ans plus tard, ce même docteur deviendra furieux contre Jeanne Bloy quand elle lui avouera qu"elle n'a pas pris son traitement.

  • 1909 :  l'opération de sa fille aînée Véronique

- 18 février 1909 : "Il est certain, mon cher Termier, que Dieu vous envoie avec une précision miraculeuse. Hier, c'est un chirurgien qui a raflé nos derniers sous, un chirurgien pour Véronique. Oh ! ne vous effrayez pas. C'était une opération de rien ou presque rien. Mais on craignait le polype et il y avait plus d'anxiété que de mal." ( Lettre à Pierre Termier)

  •  1910 : la congestion pulmonaire de Véronique

Famille Bloy (vers 1910), Véronique à la guitare

21 janvier 1910 : "Le malheur, une fois de plus, tombe sur nous. Véronique est gravement malade. Congestion pulmonaire. Danger de mort." (Journal de Léon Bloy) 

22 janvier 1910 :"La maladie suit son cours effrayant, mais un bon médecin envoyé par la Providence a pu l'enrayer." (Journal de Léon Bloy)

24 janvier 1910 : "Le médecin déclare Véronique hors de danger" (Journal de Léon Bloy)

25 janvier 1910 : "Hier matin, elle était hors de danger. Madeleine est toujours grippée et à moitié sourde. Il faudra consulter un spécialiste. Moi je continue à tousser." (Lettre à René Martineau) 

28 janvier 1910 : "Aujourd'hui c'est la convalescence. Mais elle pourrait être longue. Il faut donc prier beaucoup pour cette chère enfant et c'est ce que je vous demande comme les pauvres demandent du pain." (Lettre au Frère Dacien) 

2 février 1910 : Léon Bloy envoie une lettre à Pierre Termier en indiquant la date à l'aide du saint du jour, Saint-Blaise : médecin d'origine arménienne ayant entre autre des capacités à calmer la toux.

5 février 1910 : "Souffrez, mon cher Philippe, que je vous écrive quelques lignes seulement. Votre ami Bloy est un peu écrasé. "Véronique avait fort bonne mine", m'écrivez-vous. Hélas, Véronique a failli mourir d'une congestion pulmonaire." (Lettre à Philippe Raoux) 

19 février 1910 : "Je peux enfin vous écrire ayant la tête et le cœur un peu remis de nos terribles émotions ! Véronique se lève enfin. Hier, elle a pu prendre son repas avec nous pour la première fois depuis longtemps." (Lettre à Josef Florian)

26 février 1910 : "Notre petite Véronique revient peu à peu à la santé." (Lettre à l'Abbé Cornouau)

  • 1911, l'amitié avec le Docteur Georges Vignes

 

Léon Bloy pris en photo par Georges Vignes, été 1911


 

1911, le médecin Georges Vignes laisse sa maison en Dordogne à la famille Bloy pour l'été. Dans son Journal, Léon Bloy modifie la ville où il séjourne "Taillepetit" en "Piélevé" et le nom "Docteur Vignes" devient "Docteur Ampelosse".  Ampelos étant un mot grec signifie "vigne, plant de vigne" et dans la mythologie Ampelos se tue en tombant d'un orme dans lequel il est monté cueillir des grappes de raisin.

  •  1913

- 18 juin 1913 :  "Un de mes amis les plus chers s'afflige de la mauvaise santé de son fils. Je voudrais qu'il me fût donné de guérir. Quel mystère ! Il est prouvé que j'ai le pouvoir de secourir les âmes quelque fois, et je ne peux rien pour les corps qui sont infiniment moins précieux." (Journal)

  • 1914

- 7 mars 1914 : "Chers amis, nous ne savons plus rien, sinon que nous vous aimons & que nous vous attendons toujours. André est-il malade ? J'espère que non." (Lettre à André et Valentine Dupont)

  •  1915

- 9 juin 1915 : "Apparition d'un médecin assez semblable à un vétérinaire de campagne. [...] Il part enfin, me laissant une ordonnance qui va immédiatement au panier."

-12 juin 1915 :  "Visite d'une doctoresse très recommandé. L'aspect de cette personne est satisfaisant."

- 30 décembre 1915 : visite d'un médecin homéopathe qui lui prescrit de l'élixir de gui. "Il nous inspire aussitôt la plus vive confiance."

  • 1917 : Visites en série de médecins-lecteurs chez Léon Bloy

- 6 juin 1917 : "Lettre d'un docteur Auguez, médecin militaire qui a fait une partie de campagne avec Raoux."

- 16 juillet 1917 : "Visite d'un inconnu, Edmond Ledoux, médecin militaire des chasseurs alpins (51e BCI)". "Je vois en lui un être très doux, comme l'indique son nom [...]"

- 14 septembre 1917 : "Visite d'un jeune médecin auxiliaire, Maurice Bourg", "admirateur de mes livre"

- 15 septembre 1917 : visite du Docteur Lamoureux, médecin major de 1ère classe, "amateur passionné" des livres de Bloy

- 18 octobre 1917 : "Jeanne m'amène un autre médecin, militaire, celui-là. Il veut d'abord abattre la fièvre et me prescrit de l'aspirine, ce qui semble réussir presque aussitôt, puisque j'ai pu trouver la paix ce soir et dormir cette nuit. Mais il y a une suite assez longue à l'ordonnance, entre autres choses le jeûne absolu pendant trois jours. Est-ce vraiment ainsi que je dois être soigné ?"

- 20 octobre 1917, le dernier jour écrit dans son Journal est celui où un médecin lui envoie de l'argent : "Après-midi, mandat de 50 francs envoyé par [le Docteur] Lamoureux. Jeanne lui répond."

Dernier jour du Journal de Léon Bloy


Enfin, une lettre plus douce et plus drôle de Léon Bloy à son ami André Dupont :




lundi 19 octobre 2020

Sérotonine, une vingt-septième resucée des romans de Nabe

 

Sérotonine (2019), le dernier roman de Michel Houellebecq, est l’histoire de Florent-Claude Labrouste, un lâche, menteur, voyeur et dépressif sous antidépresseur (Captorix), qui écrit un livre retraçant sa vie amoureuse ratée et sa grande amitié avec Aymeric d’Harcourt-Olonde. Cette proximité avec Aymeric va permettre au narrateur de vivre et raconter de l’intérieur la révolte - qui sera comprise sans être toutefois cautionnée par Florent-Claude - des agriculteurs et producteurs de lait face à la violence de la mondialisation. La narration de ses  différents échecs amoureux conduira le lecteur à être plongé dans les gouffres du mal-être, de la souffrance et au plus profond de la dépression de Florent-Claude Labrouste...

Un roman Naturaliste  

Au fur et à mesure du roman où Florent-Claude raconte sa vie passée, les phrases s’alourdissent, le style tantôt drôle au début du livre devient pesant, oppressant, déprimant. Les descriptions des lieux plongent le lecteur tantôt dans la claustrophobie lorsque le narrateur se trouve dans un espace clos tantôt dans l'agoraphobie lorsque le narrateur décrit de grands espaces. Ces représentations d’endroit, existant vraiment comme La Tour Totem, l'Hôtel Mercure, le Relais-Château, la brasserie O’Jules n’ont pas échappé aux journalistes. Certains se sont même déplacés pour observer, s’extasier et se rendre compte que “oui !” c’est aussi sinistre que dans le livre. Un jour peut-être Houellebecq sortira, à la manière de Zola, ses “Carnets d’Enquête” ?

 Sérotonine entre parfaitement (ou désespérément) dans les codes de l’école romanesque du naturalisme initié par Zola, à savoir l'étude de l'homme naturel, soumis aux lois physico-chimiques et déterminé par les influences du milieu. Ici, l’homme c’est Florent-Claude. L’influence du milieu socio-familial est partiellement rejetée par l’auteur comme pouvant être la cause de sa déprime :

-       Le narrateur est ingénieur agronome et possède sept cent mille euros sur son compte

-       Les parents, quoique morts par suicide ne sont pas désignés comme la cause du mal-être du narrateur : je n’ai par ailleurs rien à reprocher à mes parents, ils furent à tous égards d’excellents parents

Le déterminisme héréditaire ( fêlure héréditaire pour Zola) se substitue à celui de Dieu :

Dieu avait disposé de moi mais je n’étais, je n’étais en réalité, je n’avais jamais été qu’une inconsistante lopette, complexe. Dieu m’avait donné une nature simple, infiniment simple à mon avis, Dieu s’occupe de nous en réalité, il pense à nous à chaque instant, et il nous donne des directives parfois très précises.
Il y a même à la fin du roman une vision du Christ rédempteur : 

Et je comprends, aujourd’hui, le point de vue du Christ, son agacement répété devant l’endurcissement des cœurs : ils ont tous les signes, et ils n’en tiennent pas compte. Est-ce qu’il faut vraiment, en supplément, que je donne ma vie pour ces minables ? Est-ce qu’il faut vraiment être, à ce point, explicite ? Il semblerait que oui

Les lois physiques sont mises en exergue de façon plutôt drôle quand Florent-Claude songe à se défenestrer et se demande combien de temps durera sa chute:

C’était bien la peine d’avoir fait des études scientifiques longues : la hauteur h parcourue par un corps en chute libre en un temps t était en réalité précisément donnée par la formule h=1/2gt2, g étant la constante gravitationnelle, ce qui donnait un temps de chute, pour une hauteur h, de √2h/g. Compte tenu de la hauteur (cent mètres presque exactement) de mon immeuble, et du fait que la résistance de l’air pouvait pour ces hauteurs de chute être négligée, cela représentait un temps de chute de quatre secondes et demie, cinq secondes au maximum si l’on tenait absolument à introduire la résistance de l’air ; pas de quoi, comme on le voit, en faire un drame.

A la manière de Zola qui satisfaisait son goût pour l'impressionnisme en décrivant des paysages, Houellebecq utilise le gigantisme pictural :

L’arrivée au bord du lac de Rabodanges, sur lequel le soleil commençait son déclin, m’impressionna : il s’étendait sur des kilomètres, de part et d’autre d’un pont, au milieu de forêts denses de chênes et d’ormes ; Le ciel était si clair ce matin-là qu’on apercevait l’océan, dans la distance ; le temps était resplendissant, le ciel d’un bleu turquoise, presque irréel.

nous étions seuls dans la rame au milieu de deux immensités abstraites, le ciel et la mer; peinture de Rothko

 

Albert Marquet, Falaises de Flamanville

Description des falaises de Flamanville par Houellebecq :

l’océan scintillait, agité de très légères ondulations, jusqu’à l’infini. Le ciel d’une limpidité parfaite offrait un dégradé de teintes candides, d’un bleu très clair ; il me sembla, pour la première fois, distinguer à l’horizon les côtes d’une île.Je ressortis avec mes jumelles : oui, c’était étonnant vu la distance, mais on apercevait bel et bien un léger ressaut d’un vert tendre, qui devait être la côte orientale de Jersey.

 L'originalité réside surtout dans l’utilisation de la chimie et de la biochimie dans ce roman. Le titre du livre s’appelle “Sérotonine”et le narrateur explique qu’il s’y connait :

je le comprenais d’autant mieux que j’avais moi aussi beaucoup aimé la biochimie, j’avais éprouvé un plaisir étrange à l’étude des propriétés de ces molécules complexes, la différence c’est que je m’étais plutôt intéressé à des molécules végétales, du genre chlorophylle ou anthocyanines, mais enfin les bases étaient en gros les mêmes, je voyais très bien de quoi il voulait parler.

Au premier chapitre il y a quelques explications :  

-       Les premiers antidépresseurs connus (Seroplex, Prozac) augmentaient le taux de sérotonine sanguin en inhibant sa recapture par les neurones 5-HT1. La découverte début 2017 du Capton D-L allait ouvrir la voie à une nouvelle génération d’antidépresseurs, au mécanisme d’action finalement plus simple, puisqu’il s’agissait de favoriser la libération par exocytose de la sérotonine produite au niveau de la muqueuse gastro-intestinale.

-       Le Captorix fonctionnait en augmentant la sécrétion de sérotonine

-       Les effets secondaires indésirables les plus fréquemment observés du Captorix étaient les nausées, la disparition de la libido, l’impuissance.Je n’avais jamais souffert de nausées

Un bref éclaircissement sur la pharmacologie de la dépression n’est pas inutile pour comprendre tous les codes du roman.

On constate lors d’une dépression qu’il y a une diminution de la transmission synaptique des neurotransmetteurs (noradrénaline, adrénaline, sérotonine, dopamine). En gros la sérotonine a du mal à se déplacer d’un point A (membrane pré-synaptique) à un point B (membrane post-synaptique). Les antidépresseurs actuels consistent à faciliter ce transport soit en empêchant la sérotonine d’être re-captée par des auto-récepteurs situés au point A, soit en inhibant l’activité des enzymes, situés entre A et B (on appelle ça la fente synaptique), qui dégradent la sérotonine. La trouvaille de Houellebecq est d’avoir imaginé un médicament (le Captorix n’existe pas) qui facilite la libération de Sérotonine et empêcherait la dépression.

D’où vient la sérotonine ? A la base, la sérotonine provient d’un acide aminé, le tryptophane, qui provient de l’alimentation. Pas de nourriture à base de tryptophane : pas de sérotonine !

Même si le narrateur passe son temps à cloper et à picoler (les effets de la nicotine et de l’alcool sur l’organisme sont détaillés dans le livre), il n’est pas étonnant de constater que le narrateur s’alimente exclusivement d’aliments à base de tryptophane tout au long du livre : 

quoi qu’il en soit le restaurant était bon, et le plateau de fromages somptueux , J’optai finalement pour une cassolette d’escargots de Bourgogne au beurre d’ail, à suivre des noix de Saint-Jacques poêlées à l’huile d’olive et leurs tagliatelles , une omelette au jambon , D’un autre côté, il y avait quand même des choses que j’aimais bien, à l’extérieur, une petite virée au G20 par exemple, ils avaient quatorze variétés différentes de houmous  ;  salade, jambon de pays, cantal, pommes sautées, cerneaux de noix, œuf dur, à moins que ce ne soit à ceux de « Jules berger » (salade, tomates, crottin de chèvre chaud, miel, lardons).

Pas surprenant non plus de voir que Florent-Claude a travaillé de l’exportation du fromage et des œufs (sans vraiment réussir à les exporter) :

[j’avais] pour première ambition de promouvoir les « seigneurs de la trilogie normande » : le camembert, le pont-l’évêque, le livarot.-éleveurs laitiers ; c’était un élevage énorme, plus de trois cent mille poules, qui exportait ses œufs jusqu’au Canada et en Arabie Saoudite, mais surtout il avait une réputation infecte, une des pires de France. 

 Ou que son meilleur ami, Aymeric travaille dans les produits laitiers :

 ça n’allait pas fort pour moi non plus en ce moment, que le sort des éleveurs laitiers allait avoir du mal à susciter ma compassion active.; on commençait à agiter l’idée d’une suppression des quotas laitiers – cette décision qui devait plonger des milliers d’éleveurs français dans la misère.

Il est à noter qu’il n’y a en aucun cas une “prophétisation” des gilets jaunes dans le livre. C’est plutôt une révolte des agriculteurs.

Amusant de voir aussi la vrai-fausse coquille :

 Les Japonais, et même plus généralement les Asiatiques, tiennent très mal l’alcool, par suite du mauvais fonctionnement chez eux de l’aldéhyde déshydrogénase 2, qui assure la transformation de l’éthanol en acide acétique.

Les Japonais ne tenant pas l'alcool à cause d’un déficit en Alcool déshydrogénase; et l’aldéhyde déshydrogénase étant l’enzyme catabolisant (détruisant) la sérotonine. La petite coquille sur la non-présence de vaches sur la pochette de l’album Ummagumma des Pink Floyd n’est en soi pas gênante (l’auteur ne se souvient précisément que  de ses ex); plus gênant est la contradiction : Je n’avais jamais souffert de nausées (chapitre 1) et Je me réveillai très tard le lendemain matin, dans un état de nausée et d’incrédulité proche du spasme (chapitre 28).

Il y a aussi une personnalisation de la sérotonine, Florent-Claude devient la sérotonine :

-       La mort, cependant, finit par s’imposer, l’armure moléculaire se fendille, le processus de désagrégation reprend son cours.

-       Les ex-femmes (ou le souvenir que Florent-Claude a d’elles) agissent comme des auto-récepteurs dont il doit s’échapper faute d’être capturé :  je craignais de ne pas réussir à m’échapper ; Je devais rechercher le vide, le blanc et le nu ;parce que je n’aurais plus jamais l’impression d’avoir à mes côtés une femme mais une sorte d’araignée, une araignée qui se repaissait de mon fluide vital, et qui demeurait pourtant en apparence une femme, elle avait des seins, elle avait un cul (que j’ai déjà eu l’occasion de louer) et même une chatte (sur laquelle j’ai exprimé certaines réserves), mais rien de tout cela ne comptait plus, à mes yeux elle était devenue une araignée, une araignée piqueuse et venimeuse qui m’injectait jour après jour un fluide paralysant et mortel, il importait qu’elle sorte, le plus tôt possible, de ma vie ; et je me souviens de ses petits seins fermes, dans la lumière matinale, à chaque fois que ça me revient j’ai une très forte envie de crever.

-       Il y a aussi les passages journaliers du narrateur dans le treizième arrondissement Parisien dont les étapes ressemblent à s’y méprendre à la synthèse de la sérotonine et sa dégradation : et je repris dès le lendemain mes circuits quotidiens qui m’emmenaient de la brasserie O’Jules (Tryptophane) au Carrefour City (Sérotonine) en passant par la rue Abel-Hovelacque (5-HydroxyTryptophane), que j’enchaînais par la brève remontée de l’avenue des Gobelins (Hydroxy Indole Acétaldéhyde), avant la bifurcation (aldéhyde déshydrogénase, aldéhyde réductase) terminale vers l’avenue de la Sœur-Rosalie.

Notons que le Carrefour City est présenté par l’auteur comme : 

je ne manquais jamais de marquer un arrêt au Carrefour City. Ce magasin, j’en avais eu l’intuition dès ma première visite, allait être amené à jouer un rôle dans ma nouvelle vie. Et ce nom de Captorix, qui devait en venir à jouer un rôle si important dans ma vie.

 

 

 

-       Plus fantaisiste encore est la pérégrination dans Paris de Florent-Claude qui vu sur Google Maps ressemble  à la structure chimique de la sérotonine : la place d’Italie est le noyau benzène relié à l'atome d'Oxygène ( O'Jules, la brasserie), le noyau pyrrole (avec l’Hôtel, l’avenue Sœur-Rosalie, la rue Hovelacque, l'avenue des Gobelins) et le groupement aminé qui mène à la Butte-aux-Cailles. Après La Carte et le Territoire, la Carte et la Molécule ?           

Il y a aussi le médecin de Florent Claude, le Docteur Azote, qui n’hésite pas à se griller une cigarette devant son patient ( Je me souvenais aussi qu’au beau milieu de la consultation il avait allumé une Camel, « excusez-moi c’est une mauvaise habitude je suis le premier à déconseiller… »), dont l’atome est doublement présent dans la molécule de sérotonine. Les épisodes de mal-être dont l’auteur souffre sont aussi typiquement les effets indésirables de la prise d’antidépresseurs : trouble de la libido, palpitation, tachycardie, tremblements, agressivité (il cherche à tuer le fils de son ex), etc… : les épisodes de tachycardie commencèrent dès onze heures du soir, aussitôt suivis de sudations abondantes et de nausées ; J’étais agité de tremblements lorsque je me relevai ; à ce moment mon cœur se mit à tressauter follement etc…

L’empathie comme marque de fabrique

 Il ne faut pas le cacher, il y a des thèmes et des scènes qui bouleversent le lecteur dans ce roman. Le suicide d’Aymeric en direct devant les caméra de BFM lors d’une manifestation des agriculteurs présentée comme ultime recours pour faire entendre la détresse des travailleurs. La quête de l’amour perdu est tout aussi touchante et fédératrice !

On retrouve aussi la force qu’à Houellebecq pour nous faire “aimer” les personnages de ses romans et créer de l’empathie pour eux. Florent-Claude est macho mais il est drôle (un peu comme son personnage d’humoriste misogyne dans “La Possibilité d’une île”), il est égocentrique mais il a une dépression, il n’a jamais réussi à rendre quelqu’un heureux sur le long terme mais ses parents se sont suicidés quand il était jeune, il cherche à tuer un enfant mais y renonce et songe à se suicider peu de temps après…. 

Comme une sensation de Nabe...?

 

 

Pierre Bernard avait déjà en 2010 dans un article intitulé “Et si le Goncourt n’était qu’un sous-non Renaudot ?” énuméré les similitudes entre La Carte et le Territoire (septembre 2010) avec Alain Zannini (2002), L’Homme qui arrêta d’écrire (janvier 2010), Je suis mort (1998)ou encore Le Bonheur (1988) de Marc-Edouard Nabe. 

Pour Sérotonine les coïncidences affluent également avec Alain Zannini :

-       La narration est à double structure temporelle à l’image d’Alain Zannini. Le héros narre une histoire et dans cette même histoire ce dernier se remémore certains souvenirs.

-       Le narrateur fuit sa femme au début du roman (Patmos dans Alain Zannini, Le treizième arrondissement dans Sérotonine)

-       Les femmes et ex-femmes du narrateur (Yuzu, Claire, Kate et Camille) ne sont désignés que par leurs prénoms comme dans Alain Zannini.

-       Le narrateur possède un double dans le roman : Marc-Edouard Nabe / Alain Zannini et Florent-Claude Labrouste / Aymeric d’Harcourt-Olonde. Dans l’avant-propos de Sérotonine c’est l'éditeur qui indique qu’Aymeric est le double inversé de Florent-Claude.

-       Sérotonine comme Alain Zannini sont des romans sur l’identité : “Il y a le prénom, le nom et le renom” (L’Affaire Zannini)

-       Le souvenir des scènes sexuelles vécues par Florent-Claude sont racontées de façon très crue comme dans Alain Zannini.

-       Il y a des jeux (et “je”) de temporalité qui amènent à rendre le lecteur actif et non passif dans Sérotonine comme dans Alain Zannini : “Il y a encore quelques mois (quelques mois seulement ? une année entière, voire deux ? je ne parvenais plus à associer de chronologie à ma vie, seules quelques images survivaient au milieu d’un néant confus, le lecteur attentif complétera)” ; “j’avais déjà quarante-six ans maintenant” pour Sérotonine. Et “Un drôle de roman commence : je veux vous prévenir, vous, lecteur du seul temps qui existe, celui de la lecture. Vous êtes dans le vrai moment de ma vie, moi je n’y suis que par anticipation, et encore, rétrospectivement !” pour Alain Zannini.

-       La défense des prostituées et de leurs générosités dans Sérotonine comme dans Alain Zannini.

D’autres coïncidences entre Sérotonine et L’Homme qui arrêta d’écrire peuvent être trouvées aussi :

-       la présence dans les deux romans d’un pédophile qui n’est pas arrêté.

-       les premières pages de ces deux romans sont également troublantes de similitudes :

Vers cinq heures du matin ou parfois six je me réveille, le besoin est à son comble, c’est le moment le plus douloureux de ma journée. Mon premier geste est de mettre en route la cafetière électrique ; la veille, j’ai rempli le réservoir d’eau et le filtre de café moulu (en général du Malongo, je suis resté assez exigeant sur le café). Je n’allume pas de cigarette avant d’avoir bu une première gorgée ; c’est une contrainte que je m’impose, c’est un succès quotidien qui est devenu ma principale source de fierté (il faut avouer ceci dit que le fonctionnement des cafetières électriques est rapide).Le soulagement que m’apporte la première bouffée est immédiat, d’une violence stupéfiante. La nicotine est une drogue parfaite, une drogue simple et dure, qui n’apporte aucune joie, qui se définit entièrement par le manque, et par la cessation du manque. Quelques minutes plus tard, après deux ou trois cigarettes, je prends un comprimé de Captorix avec un quart de verre d’eau minérale – en général de la Volvic.(Sérotonine)

Arrêter d'écrire c'est un peu comme arrêter de fumer, il faut choisir un jour et s'y tenir[...]Depuis toujours, le bruit de l'ordinateur allait de paire avec celui de ma cafetière italienne, désormais je n'entendrai plus qu'un bruit sur deux[...] Il est seulement neuf heures et je m’ennuie déjà. Je retourne me coucher, impossible de me rendormir.Je me relève, je me refais un café. Quand j'étais écrivain, je n'en buvais qu'un et je me mettais tout de suite au travail. Drôle de goût le deuxième café. Voilà ma première découverte : pour un non-écrivain, un deuxième café n'a pas le même goût que le premier. C'était la première fois que j'en prenais deux fois.(L'Homme qui arrêta d’écrire)

-       La défense des producteurs de lait dans Sérotonine est visible aussi dans l’interview de Nabe pour la sortie de L’Homme qui arrêta d’écrire par Taddéi dans Ce soir ou Jamais !  (à 5 minutes)

-       Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, des hommes de télé donnent leurs avis sur Laurent Baffie :

je tombai sur une émission d’hommage à Laurent Baffie, ce qui était en soi surprenant (était-il mort ? il était encore jeune, mais certains animateurs de télévision sont foudroyés en pleine gloire, et brutalement enlevés à l’amour de leurs fans, c’est la vie). Le ton en tout cas était bien celui de l’hommage, et tous les intervenants soulignaient la « profonde humanité » de Laurent, pour certains c’était un « super-pote, un roi de la déconne, un déglinguos total », d’autres qui l’avaient connu de plus loin mettaient l’accent sur le « professionnel impeccable », cette polyphonie bien orchestrée par le montage conduisait à une vraie relecture du travail de Laurent Baffie, et s’achevait de manière symphonique par la reprise quasi chorale d’une expression qui faisait l’unanimité des intervenants : Laurent était, par quelque bout qu’on le prenne, une « belle personne ».(Sérotonine)

il est en compagnie de Laurent Baffi qui se croit toujours obligé d’être drôle et vif comme à la télé, alors que tout le monde le sait que dans la vie, comme le répète Thierry Ardison, en dehors du domaine de la vanne et de celui des animaux où il excelle, Baffi est un sinistre blaireau(L’Homme qui arrêta d’écrire).

Une réponse au Vingt-Septième Livre ?

Paru initialement en 2005, Le Vingt-Septième livre de Marc-Edouard Nabe est une lettre ouverte à l’intention de Michel Houellebecq. On y apprend dans ce livre que les deux hommes ont été voisins dans les années 90, Nabe en profite pour donner de ses nouvelles, pour comparer la différence de célébrité entre eux mais surtout pour parler de leurs conceptions littéraires respectives. L’un (Nabe) est dans l’exaltation et la transcendance, l’autre (Houellebecq) est dans la dépréciation, la déprime, le mal-être. Houellebecq y convient et dira même à Nabe :

 Houellebecq lui-même me l'avait bien expliqué:Si tu veux avoir des lecteurs, mets-toi à leur niveau! Fais de toi un personnage aussi plat, flou, médiocre, moche et honteux que lui. C'est le secret, Marc-Édouard. Toi, tu veux trop soulever le lecteur de terre, l'emporter dans les cieux de ton fol amour de la vie et des hommes!... Ça le complexe, ça l'humilie, et donc il te néglige, il te rejette, puis il finit par te mépriser et te haïr….

Voyons cette différence de tempéraments lorsque deux écrivains qui marquent leur temps font des variations sur le même motif littéraire. Par exemple entre Sérotonine et Alain Zannini lorsque les narrateurs racontent leur première rencontre avec celle qui deviendra pour quelques temps leur femme :

-       Elle (Kate) avait vingt-sept ans au moment de notre rencontre – cinq ans de plus que moi, donc – et son expérience de la vie était largement plus étendue, je me sentais un petit garçon à ses côtés. Après des études de droit accomplies à une vitesse record, elle était devenue avocat d’affaires dans un cabinet londonien. « So, you should have met some kind of yuppies… », je me souviens de lui avoir dit ça, au matin de notre première nuit d’amour. « Florent, I was a yuppie » me répondit-elle doucement, je me souviens de cette réponse et je me souviens de ses petits seins fermes, dans la lumière matinale, à chaque fois que ça me revient j’ai une très forte envie de crever, enfin passons.(Sérotonine)

-       Dès que je l'ai vue chez Jason, j'ai pensé à la Galatée de Raphaël, vous connaissez certainement la fresque de la Farnesina... Cette nymphe fuyante sur son char tirée par deux dauphins souriants, c'est Delphine ! Elle surfe dans sa coquille de nacre sur l'écume émoustillée, les amours dans les nuages s'essoufflent à son passage mutin, et l'ignoble monstre marin auquel elle se refuse n'a que ce qu'il mérite.(Alain Zannini)

Lorsque les deux vont mal l’un (Houellebecq) est dans l’auto-apitoiement tandis que l’autre (Nabe) pratique l'autocritique ou auto-introspection par l’évangile de Saint-Jean, il appellera ça l’autopocalypse :

-       En début de soirée, à peu près à l’heure de Questions pour un champion, j’étais traversé par de douloureux moments d’autoapitoiement.” ; “je n’étais décidément qu’une lopette, une triste et insignifiante lopette, vieillissante de surcroît.

-       L’Apocalypse est un traité d’introspection. C’est de l’autre côté de chez soi. Chaque personne qui ouvre l’Apocalypse n’importe où n’importe quand, y écrit, croyant la lire, sa propre histoire.

Dieu responsable de l'échec ? :

-       D’accord, je n’étais pas programmé pour réussir, mais à ce point de ratage foireux, ça fait peur ! Je sais ce qui s’est passé. Dieu est rentré ivre mort un petit matin rue de la convention, zigzaguant, vomissant sur les pelouses, se cognant aux buissons, pissant contre un arbre en beuglant… Au milieu de la cour, Dieu a hésité un insatnt entre les deux immeubles : gauche ou droite ?... Et c’est dans le tien qu’il s’est engouffré. (Le Vingt-Septième Livre)

-       Dieu est un scénariste médiocre, c’est la conviction que presque cinquante années d’existence m’ont amené à former, et plus généralement Dieu est un médiocre, tout dans sa création porte la marque de l’approximation et du ratage, quand ce n’est pas celle de la méchanceté pure et simple.(Sérotonine)

Que dire aussi d’extraits de Sérotonine et du Vingt-Septième Livre qui résonnent comme des échos :

-       Pas seulement humiliés et offensés, mais orgueilleux et prétentieux ! (Vingt-Septième Livre)

-       « Humiliés et enculés » c’était un bon titre, du Dostoïevski trash, d’ailleurs il me semblait que Dostoïevski avait écrit sur le monde carcéral, c’était peut-être transposable, enfin là je n’avais pas le temps de vérifier. (Sérotonine)

-       C’est là que tu lui as parlé de ton fils à toi, et dans des termes assez choquants, paraît-il. Tu n’avais pas encore ton chien Clément. Les enfants, comme les animaux et les femmes sont du côté de la vie, cette merde. Ca ne peut pas coller entre vous. Savais-tu que  Dostoïevski, après les Karamazov, avait eu l’intention d’écrire un dernier grand roman intitulé "Les Enfants" ? (Vingt-Septième Livre) 

-       Pouvait-on imaginer que Camille mette en danger pour moi cette relation parfaite et fusionnelle qu’elle vivait avec son fils ? Et pouvait-on imaginer que lui, l’enfant, accepte de partager l’affection de sa mère avec un autre homme ? La réponse à ces questions était passablement évidente, et la conclusion inéluctable : c’était lui ou moi. Le meurtre d’un enfant de quatre ans provoque inévitablement une vive émotion médiatique, je pouvais m’attendre à ce que des moyens de recherche considérables soient mis en œuvre. (Sérotonine)

Ainsi que l’utilisation de la mémoire conseillée par Nabe comme mécanisme à utiliser pour transposer des romans :

-       La science-fiction n'est pas réservée au futur. Ne crois-tu pas qu’utiliser sa mémoire comme machine à remonter le temps, c'est déjà de la science-fiction ? Vertigineux ! Proust l'a prouvé (Le Vingt-Septième Livre)

-       mon cœur fut tordu par une crispation douloureuse, les souvenirs revenaient sans discontinuer, ce n’est pas l’avenir c’est le passé qui vous tue, qui revient, qui vous taraude et vous mine, et finit effectivement par vous tuer.” [...] Ainsi toute la culture du monde ne servait à rien, toute la culture du monde n’apportait aucun bénéfice moral ni aucun avantage, puisque dans les mêmes années, exactement dans les mêmes années, Marcel Proust concluait, à la fin du « Temps retrouvé », avec une remarquable franchise, que ce n’étaient pas seulement les relations mondaines, mais même les relations amicales qui n’offraient rien de substantiel, qu’elles étaient tout simplement une perte de temps, et que ce n’était nullement de conversations intellectuelles que l’écrivain, contrairement à ce que croient les gens du monde, avait besoin, mais de « légères amours avec des jeunes filles en fleurs ». Je tiens beaucoup, à ce stade de l’argumentation, à remplacer « jeunes filles en fleurs » par « jeunes chattes humides» (Sérotonine).